En un coup d’œil
- Sous certaines conditions, les travailleurs indépendants peuvent eux aussi avoir droit à l’aide sociale.
- Des critères importants sont la viabilité économique ainsi que les éventuels risques de distorsion de la concurrence.
- En principe, l’aide sociale est destinée à couvrir les besoins vitaux et non à financer une activité commerciale.
Après l’irruption de la pandémie de COVID-19 au printemps 2020, les questions suivantes ont été au centre des préoccupations de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) : quels groupes de population pourraient voir leurs besoins existentiels menacés par les mesures de lutte contre la pandémie ? Et comment y remédier ?
À l’époque, la CSIAS s’attendait notamment à une augmentation générale des demandes d’aide émanant de travailleurs indépendants, en raison des mesures prises par les autorités et des mutations économiques dues à la pandémie de COVID-19. Au cours des années précédentes, le nombre d’indépendants bénéficiaires de l’aide sociale était resté assez stable, à environ 2000 personnes. Ce chiffre est plutôt faible par rapport au nombre total d’indépendants en Suisse, qui, selon les définitions, est de plusieurs centaines de milliers de personnes.
Avec le recul, il s’avère que le système de sécurité sociale a réagi rapidement et efficacement aux défis posés par la pandémie, grâce à un élargissement des prestations de l’assurance-chômage et du régime des APG ainsi que par d’autres mesures. Selon les données de la Statistique des bénéficiaires de l’aide sociale (OFS), le nombre d’indépendants à l’aide sociale a certes augmenté d’environ un tiers en 2020, mais il est retombé l’année suivante à quelque 2100 personnes, soit à peu de choses près le niveau d’avant la pandémie. Dans l’ensemble, le pourcentage de personnes au bénéfice de l’aide sociale, ce que l’on appelle le taux d’aide sociale, est resté stable la première année de la pandémie. La deuxième année, en 2021, il est passé de 3,2 à 3,1 %. Toutes les régions n’ont toutefois pas connu une évolution similaire, ce qui explique que les services sociaux aient ressenti les conséquences de la pandémie à des degrés divers.
En 2021, afin de fournir une aide aux services sociaux, la CSIAS a formulé des recommandations sur l’Aide aux travailleurs indépendants. La question centrale est la suivante : dans quels cas les travailleurs indépendants ont-ils droit à l’aide sociale ? Le présent article résume les réponses fournies par lesdites recommandations. Toutefois, la définition de travail indépendant, abordée dans la notice, n’est pas traitée en détail.
Examiner les prestations en amont
Avant tout, il convient de souligner que l’aide sociale obéit au principe de subsidiarité, tant pour les salariés que pour les indépendants. Avant d’examiner le droit à l’aide sociale et de calculer les prestations, il faut s’assurer que les prestations de la Confédération, des cantons et des organismes privés ont été épuisées. En cas de besoin, l’aide sociale fournit une aide à titre d’avance.
Activité indépendante à titre principal ou accessoire ?
Du point de vue de l’aide sociale, il convient tout d’abord de déterminer le but de l’activité indépendante. S’agit-il d’une activité exercée à titre principal visant à assurer l’indépendance économique de la personne concernée ? Ou s’agit-il d’un revenu accessoire, qui présente une importance parce qu’il soutient l’intégration sociale ou permet de structurer la journée ?
Les conditions pour bénéficier de l’aide sociale sont plus strictes dans le premier cas que dans le second. Les personnes qui souhaitent exercer une activité indépendante à titre principal ne peuvent être soutenues par l’aide sociale que pour une durée limitée et sous certaines conditions.
Viabilité économique de l’entreprise
Un critère essentiel pour le droit à l’aide sociale des indépendants est la viabilité économique de l’entreprise. Les services sociaux peuvent ainsi vérifier si les conditions nécessaires à la survie économique de l’entreprise sont réunies.
Une activité indépendante est économiquement viable au sens de l’aide sociale dès lors qu’elle permet de couvrir durablement les besoins matériels de base de la personne concernée et des personnes dont elle a la charge (unité d’assistance) et qu’elle est ainsi en mesure de garantir les moyens de subsistance.
En principe, l’aide sociale est allouée aux indépendants dans le but que leur activité soit économiquement rentable dans les six mois. Le droit à l’aide sociale peut être prolongé si la réalisation de l’objectif dans un délai supplémentaire est jugée réaliste, et ce même si la personne exerce une activité indépendante.
Un pronostic favorable de la viabilité économique d’une activité indépendante n’est pas pareillement requis dans toutes les situations. L’exigence s’applique dans une mesure limitée lorsque l’activité indépendante est exercée à des fins d’intégration sociale. Dans ces cas, l’objectif n’est pas la réalisation d’un revenu assurant le minimum vital. Il faut toutefois conditionner que les recettes réalisées dans le délai fixé couvrent tout au moins les charges d’exploitation (y c. les obligations légales de cotisation aux assurances sociales du 1er pilier).
Budgets distincts
Seules les personnes qui ne sont pas en mesure de couvrir leurs besoins matériels de base par leurs propres moyens et par les prestations auxquelles elles ont droit (ou qui n’y parviennent pas avant les dates d’échéance des paiements) peuvent bénéficier d’une aide financière. Dans le cas des indépendants, cet examen des besoins représente toutefois une charge relativement importante pour les services sociaux, car il faut faire une distinction claire entre le budget d’exploitation et le budget d’aide sociale. En effet, l’aide sociale est destinée à couvrir exclusivement les besoins vitaux et non à financer une activité commerciale.
Par exemple, les comptes bancaires doivent impérativement être séparés : un pour le budget d’exploitation et un pour le budget de l’aide sociale. Si ce n’est pas le cas, le requérant est tenu de faire le nécessaire.
Les revenus issus de l’activité indépendante qui ne sont pas indispensables pour l’exploitation de l’entreprise ou le versement des cotisations sociales obligatoires doivent être déclarés comme recettes dans le budget de l’aide sociale. En revanche, les éléments de la fortune non liquides nécessaires à une activité commerciale acceptée ne doivent pas être pris en compte dans le budget de l’aide sociale.
Lors de l’attribution des éléments de la fortune, les personnes qui demandent le soutien de l’aide sociale doivent expliquer concrètement dans quelle mesure et pour quelle raison certains éléments doivent faire partie de la fortune commerciale. Si les arguments avancés ne sont pas suffisants, la valeur en question peut être inscrite comme réalisable au budget de l’aide sociale. En outre, il est permis d’exiger la vente d’un élément de la fortune d’une valeur excessive pour le remplacer par un autre plus avantageux, afin de pouvoir comptabiliser l’excédent comme recette (par ex. dans le cas d’une voiture de fonction de grande valeur).
Éviter les lacunes de cotisation
En ce qui concerne la protection sociale à long terme, les organes de l’aide sociale doivent, dans la mesure du possible, vérifier si les indépendants qui demandent une aide disposent d’une couverture suffisante en termes d’assurances sociales. Il convient notamment de souligner que les obligations de cotisation aux assurances sociales (AVS/AI/APG) prévues par la loi doivent être remplies et qu’il s’agit d’éviter toute lacune dans la couverture d’assurance (cliquer ici pour une excellente vue d’ensemble des obligations et des droits des indépendants).
La CSIAS recommande en outre que, lorsqu’ils apportent un soutien à des indépendants, les organes de l’aide sociale garantissent le remboursement des sommes avancées au cas où il resterait des éléments de fortune après une éventuelle cessation de l’activité et la liquidation de l’entreprise. Pour garantir le remboursement de l’aide avancée, il est notamment possible de conclure des accords de restitution.
Altération de la concurrence ?
Pour répondre à la question de savoir dans quelle mesure et de quelle manière une personne exerçant une activité indépendante peut être soutenue par l’aide sociale, il y a également lieu de tenir compte des éventuelles distorsions de concurrence. D’une manière générale, sont considérées comme faussant la concurrence les situations où une personne qui ne parviendrait pas à exercer son activité sans un soutien complémentaire de l’aide sociale se trouve donc avantagée par rapport à d’autres personnes de la branche devant assurer leur subsistance.
C’est en particulier lorsque la rentabilité n’est pas assurée ou que, malgré un pronostic favorable, elle n’est pas atteinte dans le délai imparti que les indépendants doivent mettre fin à leur activité, et ce notamment pour éviter que le soutien de l’aide sociale ne cause une distorsion de concurrence sur le long terme.
En revanche, dans le cas d’une activité indépendante visant une intégration sociale, l’aide sociale apportera un soutien à plus long terme. Même dans ce type de situation, il s’agit de veiller aux éventuelles distorsions de concurrence. Un soutien sur la durée peut être envisagé même en présence d’autres acteurs sur le marché, lorsque les prestations fournies sont très marginales ou se limitent à une niche commerciale.
Cessation de l’activité indépendante ?
En conclusion, si les exigences mentionnées plus haut ne sont pas remplies, l’activité indépendante doit être abandonnée. Si les revenus et la fortune d’une personne exerçant une activité indépendante ne lui permettent plus de subvenir à ses besoins, elle doit faire tout ce qu’elle peut pour sortir de sa situation d’indigence.
Cette obligation comprend la recherche et la prise d’un emploi acceptable. Si leur état de santé le permet, les personnes concernées doivent se déclarer aptes au placement auprès de l’office régional de placement (ORP), puis rechercher et prendre un emploi leur permettant de subvenir à leurs besoins.