Premier pilier : création d’une base juridique pour la numérisation

L’identification des assurés ainsi que la saisie et la transmission de données structurées sont des éléments clés de la numérisation des assurances sociales. Pour le premier pilier, un projet de loi crée les bases juridiques nécessaires.
Isabelle Rogg
  |  27 juin 2023
    Droit et politique
  • Assurance-vieillesse et survivants
Comment signer lorsqu’il s’agit de numérique ? (Alamy)

En un coup d’œil

  • De manière générale, les exigences de forme telles que la nécessité d’une « forme écrite » sont difficiles à transposer aux formats électroniques.
  • La numérisation va au-delà des opérations électroniques individuelles et englobe des processus entiers.
  • Avec le projet législatif « Communication numérique dans les assurances sociales », la Confédération crée les bases juridiques pour la numérisation du premier pilier.

Lorsque les assurances sociales ont été créées au milieu du XXe siècle, le mot « numérisation » n’existait pas encore dans le langage courant suisse. En ce temps-là, le postier versait les rentes AVS en espèces contre signature.

Cette pratique appartient-elle au passé ? Oui, du moins en partie. Aujourd’hui, les rentes sont versées sur un compte bancaire ou postal, de nombreuses informations sont disponibles sur Internet et les caisses de compensation AVS et les offices AI sont également atteignables en ligne.

Cependant, en tant que consommatrice, je suis habituée à pouvoir tout faire depuis mon bureau, ou même n’importe où dans le monde, avec mon smartphone en main, que ce soit faire mes courses, acheter un billet de concert ou payer mes factures. Il est donc tout à fait logique qu’en tant qu’assurée, je m’attende également à pouvoir traiter avec les autorités de la même manière. Le monde numérique évolue de plus en plus vite et aujourd’hui, signer un formulaire papier à la main ou même se rendre personnellement auprès d’une administration paraît hors du temps ou presque absurde.

La forme écrite : un véritable casse-tête

Cette évolution n’a pas non plus échappé aux autorités des assurances sociales. Elles aussi proposent désormais certains services, comme la possibilité de remplir un formulaire par voie électronique. La question qui se pose alors inévitablement est de savoir si, et (si oui) comment, un formulaire qui, jusqu’à présent, était toujours signé à la main sur papier, doit être signé. Est-ce que je peux simplement scanner ma signature manuscrite ou ai-je besoin d’une signature électronique, peut-être même d’une signature électronique qualifiée ? Ou encore, puis-je me passer de le signer ? Dans l’échange de documents papier, on ne se demande pratiquement jamais si un formulaire doit être signé, et encore moins dans quel but.

Souvent, consulter la loi n’aide pas non plus, car il y est rarement indiqué si un document doit être muni d’une signature. La plupart du temps, elle se contente de spécifier qu’un acte doit se faire « par écrit ». Alors que cette notion est clairement définie en droit privé, elle est un peu plus compliquée en droit public. Il n’est en général pas possible de dire si l’écrit est uniquement le contraire de l’oral ou si cette exigence de forme comporte davantage. Le Tribunal fédéral a précisé que, par forme écrite, on entend, selon le langage courant, la transmission du texte sur papier.

La forme écrite, ainsi comprise, résout de nombreux problèmes juridiques : un document écrit envoyé dans une enveloppe fermée par la poste, en tant qu’intermédiaire de confiance, préserve la confidentialité pendant le transport. La signature permet de garantir l’intégrité du document, car toute manipulation ultérieure du document papier peut être facilement détectée. La signature permet également d’authentifier l’expéditeur du document. La correspondance « analogique » permet donc de faire d’une pierre trois coups en couvrant en une seule action les trois exigences du terme « écrit », selon une réglementation assez universelle.

Nécessité de l’identification électronique

Mais le terme est-il assez universel pour régir aussi la communication numérique ? Oui et non ! Oui, car il n’exclut pas en soi la communication électronique. Non, car il n’existe pas d’équivalent électronique qui regroupe les trois fonctions et qui puisse donc remplacer intégralement un document papier. Mais ce n’était pas non plus l’intention du législateur.

Certaines fonctions peuvent être remplacées par un « équivalent électronique » : la signature manuscrite par la signature électronique qualifiée (selon la loi sur la signature électronique, SCSE), la voie de transmission sécurisée par un courriel crypté. Ces instruments permettaient déjà par le passé de transmettre des documents électroniques aux tribunaux dans le cadre de procédures civiles et pénales. Cependant, l’expérience montre que la plupart des particuliers ne disposent ni d’une signature électronique qualifiée ni d’un courriel crypté. À ce jour, l’authentification des assurés s’avère également difficile lorsque celle-ci n’est pas précédée d’une correspondance par courrier. Mais à l’avenir, nous devrions disposer d’un instrument précieux pour l’authentification des assurés avec la carte électronique (E-ID).

Repenser les processus

Outre le fait que l’utilisation des instruments décrits ci-dessus prive une grande partie des assurés de la voie électronique, ces processus continuent d’impliquer une charge de travail importante, faute de données lisibles par la machine notamment, et une charge financière élevée, en raison des ressources en personnel nécessaires. C’est pourquoi les principes de numérisation once only (relevé unique des données) et digital first (priorité au numérique) sont également diffiles à intégrer.

De plus, cette voie n’est pas intuitive, car les assurés devraient savoir eux-mêmes ce qu’est par exemple une signature électronique qualifiée et un courriel crypté, et dans quels cas ils sont nécessaires.

Il n’est donc pas pertinent de remplacer simplement certains attributs remplis par « écrit » dans les relations analogiques, comme l’authentification, par un équivalent électronique comme la signature électronique qualifiée. Il faut plutôt, en partant de certains use cases, repenser la totalité des processus et mettre à disposition des assurés des instruments numériques clairs et faciles à comprendre permettant une transmission sûre des données et des documents.

Création d’une base juridique

Naturellement, il faut s’assurer que les assurés remplissent automatiquement les prescriptions légales, comme les exigences de forme, lorsqu’ils choisissent un canal numérique donné. En harmonisant les processus et les systèmes d’information avec la législation, il est possible de respecter les prescriptions en matière de protection des données. Celles-ci exigent que les autorités disposent d’une base juridique pour les systèmes d’information qu’elles gèrent et que les citoyens soient informés de manière transparente sur les données qu’elles contiennent les concernant et à qui ces données sont accessibles.

Pour le premier pilier, la Confédération a élaboré le projet législatif « Communication numérique dans les assurances sociales » dans ce but. Le cœur du projet est une plateforme centrale exploitée par la Centrale de compensation (CdC) à Genève. Cette plateforme devrait permettre d’authentifier les utilisateurs et d’assurer une communication sécurisée et facile, en particulier entre les assurés et les autorités, mais aussi entre les autorités et les tiers devant communiquer avec les assurances sociales. La plateforme devrait permettre de transmettre aussi bien des documents non structurés, par exemple sous format PDF, que des données structurées, de plus en plus étoffées et nombreuses. La transmission de données structurées devrait permettre de ne les saisir qu’une seule fois, conformément au principe once only, ce qui permettra d’accélérer les processus, d’éliminer les risques d’erreurs, d’augmenter l’efficience des assureurs, de réduire les coûts et d’améliorer le confort des assurés.

Grâce à l’authentification au moyen de technologies sécurisées, reconnues et répandues, comme l’E-ID, le canal numérique peut aussi être utilisé par les assurés qui ne sont pas en contact régulier avec leur assurance sociale. De plus, l’assuré n’a plus besoin de connaître auprès de quelle caisse de compensation il est assuré, il est automatiquement dirigé vers le bon service.

Une grande importance est également accordée à la sécurité et à la protection des données dans ces systèmes d’information. L’intégrité des données et documents transmis est garantie grâce à la maintenance, au développement et à la mise au niveau actuel de la technologie des systèmes d’information par des professionnels.

La communication par un canal sécurisé et digne de confiance, à savoir la plateforme, la garantie de l’intégrité des données et documents transmis et de l’authentification des utilisateurs, permettent aux canaux numériques de répondre aux attributs représentés par le terme « écrit » dans les échanges papier. Cela devrait permettre aux assurances sociales du 1er pilier d’entrer dans l’ère du numérique, sans pour autant priver ceux qui préfèrent la voie papier pour communiquer avec leur assurance sociale.

Avocate, Responsable du secteur Droit, Office fédéral des assurances sociales
[javascript protected email address]

Autres articles sur le sujet

« La collaboration au sein de l’administration a connu une profonde mutation »

Dans le bâtiment même où Albert Einstein développa jadis sa théorie de la relativité, Peppino Giarritta coordonne aujourd’hui la numérisation des affaires de la Confédération et des cantons. Dans cette interview, il nous explique que, tout comme la théorie d’Einstein avait autrefois bouleversé le monde de la physique, la numérisation a provoqué un véritable choc culturel dans notre administration.

Entretien
  • Général
Afficher tous les tags Lire l'article